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Manifestations en Géorgie : symbole d’un pays déchiré entre deux mondes

Dernière mise à jour : 20 janv.

Depuis le 28 novembre, chaque nuit, la capitale géorgienne Tbilissi est en proie à une lutte acharnée entre forces de l’ordre et manifestants. Ces incidents font suite aux dernières déclarations du Premier ministre, Irakli Kobakhidze, qui a annoncé repousser jusqu’à fin 2028 les négociations avec l’Union européenne relatives à l’adhésion de la Géorgie.

Ouvrez votre constitution, vos livres d’Histoire et votre BD Géopolitix, nous revenons ensemble sur ces derniers événements, marqueurs d’un pays divisé entre l’Europe et la Russie. 


Manifestants géorgiens brandissants les drapeaux européen, géorgien et ukrainien lors des manifestations devant le Parlement suite aux déclarations du Premier ministre, Irakli Kobakhidze.                                                                                        Crédits: AFP VIA GETTY IMAGE / VANO SHLAMOV
Manifestants géorgiens brandissants les drapeaux européen, géorgien et ukrainien lors des manifestations devant le Parlement suite aux déclarations du Premier ministre, Irakli Kobakhidze. Crédits: AFP VIA GETTY IMAGE / VANO SHLAMOV
Les faits

Jeudi 28 novembre, le Premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, annonce geler jusqu’à fin 2028 les négociations avec l’Union européenne, qui visent à déterminer les conditions de l’adhésion géorgienne au sein de l’union politico-économique. Cette décision, qui va à l’encontre des amendements constitutionnels entrés en vigueur en 2018 déclarant que « les autorités géorgiennes doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l'intégration de la Géorgie dans l'Union européenne », illustre le virage anti-europe et pro-russe qu’instaure depuis 2022 le parti « Rêve géorgien », à la tête du gouvernement. Alors que le gouvernement manquait déjà de légitimité en raison des dernières élections législatives de 2024 qu’il aurait truquées pour remporter le scrutin, ces dernières déclarations ont suscité d’importantes manifestations pro-européennes dans tout le pays et plus particulièrement dans la capitale Tbilissi. Des affrontements violents ont éclaté entre les forces de l’ordre et les milliers de manifestants qui, chaque nuit, assiègent la rue depuis bientôt une semaine. On observe une véritable fracture entre la population géorgienne, soutenant majoritairement le rapprochement de la Géorgie vers l’UE, et le parti au pouvoir.



Un État bicéphale marqué par une incompatibilité totale

Cette division russo-européenne se retranscrit également au sein même des instances les plus hautes de l’État. De fait, la présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, appuie l'intégration de la Géorgie dans l'Union européenne et l’OTAN. Depuis le déclenchement des hostilités, elle soutient les manifestants et tente de conserver le cap européen de la Géorgie en dénonçant une « dérive autoritaire pro-russe » de la part du gouvernement. Cependant, dans le système géorgien, la présidente n’a qu’un pouvoir largement symbolique. Elle représente la Géorgie sur la scène internationale et incarne l'unité nationale, mais c’est le gouvernement qui possède le pouvoir exécutif. Sa seule arme est un droit de véto, dont l’usage est assez limité. C’est donc le gouvernement, au pouvoir depuis 2012, qui entreprend depuis 2022 une politique davantage orientée vers la Russie. Dans ces conditions, l’État géorgien s’apparente à une entité bicéphale dont les deux têtes inconciliables souhaitent avancer dans des directions opposées. D’un côté, la présidente penche pour l’Union européenne, de l’autre, le gouvernement tend vers la Russie. Cette division au sein du pouvoir reflète le climat général qui règne au sein du pays depuis des années, divisé entre pro-européens et pro-russes. 



Russie ou Europe ? une fracture historique en Géorgie

Pour comprendre cette division qui existe au sein de ce pays du Caucase, il est important de revenir quelques années en arrière... Historiquement, la Géorgie a fait partie de l'Union soviétique pendant près de 70 ans (1921-1991). Cette période a laissé une empreinte durable sur certaines générations, qui conservent des liens culturels, linguistiques et économiques avec la Russie. Cependant, au lendemain de l’implosion de l’URSS en 1991, une partie de la population géorgienne, marquée par les politiques répressives soviétiques, a mis en avant sa volonté de s’écarter de l’influence russe et de se construire une identité nationale propre. 

Plus tard, l’invasion russe sur le territoire géorgien en 2008 et les guerres séparatistes en Abkhazie et en Ossétie du Sud soutenues par le Kremlin, ont profondément marqué les Géorgiens. Ces événements ont renforcé la méfiance envers la Russie, tout en exacerbant les divisions internes. 

Aujourd’hui, les pro-européens voient en l’Union européenne une sécurité face aux menaces russes à leur frontière. Ils ne veulent pas revivre l’invasion de 2008, ni devenir la prochaine Ukraine. Ils s’inquiètent donc de la dérive autoritaire de leur gouvernement qui tend à s’aligner avec les positions politiques du Kremlin. De l’autre côté, les pro-russes, animés par une certaine nostalgie soviétique, voient en la Russie une source de stabilité et d’ordre, particulièrement dans la période actuelle marquée par un important taux de chômage et une pauvreté très présente. 


Crédit: Le Petit Juriste


L’ombre russe plane sur le gouvernement géorgien

Cette décision du gouvernement géorgien est interprétée, au sein du pays et à l’international, comme un choix dicté par Moscou afin de conserver la Géorgie dans son giron d’influence. De fait, cette initiative s’inscrit dans la continuité des dernières décisions prises par le gouvernement, telles que le refus de sanctionner la Russie après l'invasion de l'Ukraine en 2022 ou la rhétorique critique envers l’Occident. Ces mesures renforcent l'idée que la volonté du gouvernement géorgien est de s’éloigner de l’Union européenne, qu’il qualifie même « d’oppresseur », tout en se rapprochant de la Russie, qui constitue pourtant un allié fondamental de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, deux États de facto ayant fait sécession sur le territoire géorgien. L’objectif russe, qui semble vouloir ralentir voire geler entièrement le processus d’intégration de la Géorgie dans l’UE, s’ancre dans une idéologie politique plus générale entreprise par le président russe, Vladimir Poutine. En effet, ce dernier, qui affirmait en 2005 lors de son adresse annuelle à la nation russe que la chute de l’URSS était « la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », ne cache plus sa volonté d’étendre l’influence et le pouvoir de la Russie sur des territoires ayant autrefois appartenu à l’Union soviétique. Dans ces conditions, l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne est un mal qu’il doit absolument éviter s’il désire y conserver un certain contrôle. 



L’Union européenne affirme sa position
 

La décision du Premier ministre géorgien de geler les négociations d'adhésion à l'UE a provoqué des réactions fermes de la part des autorités européennes. L'UE a affirmé que ce recul dans les négociations allait à l'encontre des aspirations de la Géorgie à intégrer l'Union​ et a également exprimé son soutien aux manifestants pro-européens en Géorgie, dénonçant le changement de cap perçu vers une politique pro-russe. En parallèle, le Parlement européen a adopté une résolution rejetant les résultats des dernières élections législatives en Géorgie, dénonçant des  « irrégularités significatives » lors du scrutin. Enfin, si la tendance se poursuit, l’Union européenne pourrait être amenée à cesser ses exportations vers la Géorgie, ce qui représente 25% des importations totales géorgiennes, afin de faire pression sur le gouvernement.




Sources : 

Le Monde avec AFP « En Géorgie, la Cour constitutionnelle refuse d'invalider les résultats des législatives décriées », Le Monde, 3 décembre 2024,



Le Monde avec AFP « En Géorgie, le pouvoir refuse de négocier avec l'opposition en pleines manifestations pro-union européen ». Le Monde, 2 décembre 2024,



France Info : « Crise politique en Géorgie : cinquième nuit de manifestations ». Youtube, 3 décembre 2024, https://www.youtube.com/watch?v=16owmN6Bd2g


Radio-Canada Info : « Manifestations violentes, arrestations… que se passe-t-il en Géorgie? ». Youtube, 3 décembre 2024, https://www.youtube.com/watch?v=rQsLtd3YLzE


Le Dessous de cartes - ARTE :  « Géorgie : l'ombre russe | L'Essentiel du Dessous des Cartes | ARTE ». Youtube, 3 décembre 2024, https://www.youtube.com/watch?v=a0DGZcH670w


Thorniké Gordadzé « La Géorgie : entre espoir d’Europe et influence russe ». La Grande Conversation, 28 août 2024, https://www.lagrandeconversation.com/monde/la-georgie-entre-espoir-deurope-et-influence-russe/


BNP Paribas. « Le contexte économique en Géorgie ». Trade Solutions, avril 2024, https://tradesolutions.bnpparibas.com/fr/explorer/georgie/le-contexte-economique


Hugo Palacin, « La Géorgie stoppe son processus d’adhésion à l’Union européenne, suscitant la colère de la population », Toute l’Europe, 29 novembre 2024, https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/la-georgie-stoppe-son-processus-d-adhesion-a-l-union-europeenne-suscitant-la-colere-de-la-population/


 
 
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